ELOGE DE L'ECRITURE

Toujours en quête de recherches sur la calligraphie, je suis tombé par hasard sur un livre fascinant rédigé par François Magnée, calligraphe du Roi, et publié en 1838. Le livre est principalement consacré à l’enseignement de l’écriture anglaise avec de nombreuses préconisations et exercices pour le lecteur..

Je vous livre ici un extrait du dernier chapitre consacré à l’éloge de l’écriture, un texte qui rend à l’écriture toutes ses lettres de noblesses (normal c’est le calligraphe du roi qui l’a écrit !) :

 

ELOGE DE L’ECRITURE

L’esprit de l’homme s’est signalé par mille découvertes dignes d’admiration, mail s’il en est une dont il puisse surtout se glorifier, c’est, sans contredit, l’art presque divin de l’écriture. Après le don de la parole qu’il tient du créateur, il n’a rien de plus cher et de plus précieux. Arts des arts, science des sciences, l’écriture l’a conduit à la source de toutes les vérités. Sans elle, malgré l’excellence de sa raison, il serait encore plongé dans l’ignorance : à peine connaîtrait-il l’inestimagble prix de la pensée et de la réflexion.

Invention sublime ! chef-d’œuvre du génie ! l’écriture est pour nous une nouvelle faculté, un nouvel organe, qui ne cède point à ceux dont la nature nous a doués. C’est une seconde voix, dont les accens se font entendre sans le secours des sons ; une seconde parole, qui donne à l’œil la propriété de l’oreille. Par elle le muet converse avec le sourd : l’un parle l’autre entend. C’est une nouvelle mémoire, dont l’étendue n’a point de bornes : qui se charge, sans aucune peine, de toutes les choses que nous avons à lui confier, quel qu’un soit le nombre, quelle qu’en soit la vérité.

 

Ingénieuse image de la pensée, fidèle écho de l’âme, confidente et messagère de ses sentiments, l’écriture se charge de nos sensations, de nos désires, de nos mouvements les plus secrets. Comme une glace pure et inaltérable, elle les réfléchit dans le même ordre, avec leurs nuances les plus délicates, sans les altérer, sans les confondre. Portée sur ses ailes, la parole n’est plus circonscrite dans l’espace étroit de quelque lieu. Elle franchit les mers, elle parcourt les deux hémisphères, elle se fait entendre aux extrémités du monde.

 

Monument presque indestructible, l’écriture seule peut véritablement immortaliser l’homme ; elle survit à ses ouvrages les plus durables, elle seule triomphe des années et des siècles. Depuis longtemps les trophées d’Achille ne sont plus ; les vers qui les célèbrent, brillent encore de tout leur éclat. Déesse universelle des sciences et des arts, elle les embrasse el tes anime tous : ils lui doivent leur accroissement, leur perfection et leur gloire. Elle appelle le Génie elle le réveille et lui donne une nouvelle activité. Elle est tout à la fois le fil qui en dirige l’essor, le burin qui en grave les vestiges, l’élément ou il vit, ou il se perpétue.

 

Participant en quelque manière à la nature de l’âme, l’écriture est le lieu des esprits ; c’est par elle qu’ils commercent ensemble, qu’ils se communiquent de toutes parts leurs réflexions et leurs raisonnements, qu’ils ne font qu’une seule masse de leurs connaissances, qu’un seul profite des lumières de tous. Dépositaires et véhicule de leurs pensées, elle les transmet à tous les peuples, elle les conserve dans tous les temps. C’est un flambeau, c’est un astre, qui luit sans se consumer ; à la faveur duquel les siècles passés éclairent ceux qui les suivent. Sans elle, la postérité ignorerait que d’autres générations l’ont précédée, que d’autres hommes ont existé.

Prodige vraiment incompréhensible ! L’écriture enchaîne l’idée qui brille et s’évanouit comme l’éclair ; fixe le son et la voix, qui s’envolent sans retour ; donne à la parole impalpable la solidité du marbre, à la pensée fugitive l’éternité. Froide et insensible, elle vous échauffe, elle vous émeut : elle réveille, elle calme les passions : elle vous inspire mille sentiments divers. Elle sait également et répandre les fleurs du plaisir, et faire couler les larmes de la douleur. Disons plus : l’écriture associant les substances les plus inconciliables, unit l’esprit à la matière, et l’y incorpore en quelque sorte avec toutes ses facultés. Par son moyen, ce que la pensée a de plus brillant, le raisonnement de plus persuasif, la sensibilité de plus exquis, le goût de plus délicat, se répand comme une essence sur le papier, et s’y insinue pour ne faire plus avec lui qu’un même tout.

 

Prenant pour ainsi dire un corps et une âme, l’écriture devient un personnage qui nous représente, un second nous-mêmes. Elle nous reproduit, elle nous fait être en plusieurs lieux : nous commandons, nous agissons où nous ne sommes pas. Par elle ces sages, ces orateurs célèbres, qui firent l’ornement et la gloire de leurs siècle, vivent et respirent encore. Nous assistons à leurs discours : ils nous parlent, ils nous instruisent. Platon nous enseigne encore la philosophie, Cicéron l’éloquence. Dispersés dans les différentes parties et dans les différents âges du monde, elle les rapproche et le réunit, elle les fait co-exister ensemble et avec nous, elle les rend nos contemporains.

 

Enfin le Génie, dans la création de l’écriture, semble avoir fait l’effort le plus sublime dont il fût capable, et s’être surpassé lui-même, pour exciter l’admiration et la reconnaissance. Il s’est alors comme élancé dans le ciel, pour en rapporter le feu divin de Prométhée, et en communiquer l’étincelle à tous les esprits. Ce n’est en effet qu’à la propagation de l’écriture que l’homme est redevable de la grandeur où il s’est élevé. Dès ce moment il a vu la lumière se fortifier autour de lui ; la sphère de ses idées s’est étendue, ses facultés intellectuelles se sont perfectionnées, et pour ainsi dire multipliées.

 

Illustre Thoth ! Immortel Hermès ! C’est là ton ouvrage ; tels dont les effets de ta brillante invention. Le monde littéraire te doit ainsi son existence, tu en es le père et le fondateur ; sois aussi l’objet de ses éloges. Que tous les écrivains s’empressent à l’envi de célébrer ton nom et de chanter tes louanges. Plus ils ont acquis de gloire, plus ils doivent t’en faire hommage. C’est toi, qui en leur mettant la plume à la main, leur as ouvert le chemin de l’immortalité.

 

 

SEMPER HONOS, NOMENQUE LUUM, LAUDESQUE MANEBUNT